I. En 1856, l'érosion continua par les vents et la mer atteignit le point de rupture. La falaise s'effondra sur la basse ville et le port. La ville ensevelie, en l'absence d'anse pour en rebâtir un autre, ou d'une grève d'échouage suffisante, se tourna résolument vers la serrurerie, une activité en plein essor dans le Vimeu. Yvonne Levasseur avait 13 ans quand elle vit pour la dernière fois le grand clocher battu par la marée. Surnageant au milieu d’un ressac grisâtre, dans des hoquets gris ou verts, il reprenait son souffle par saccades, laissant les âmes s'échapper entre deux rouleaux. Par temps calme, sa croix émergeait comme un phare ridicule. Ault acheva de noyer ses matelots, ses chantiers de construction, ses corderies et son grenier à sel. La jeune Levasseur engloutit ses morts et quitta son à-pic de craie pour la valleuse boisée de Cise. Elle grandit en anémomorphose, sculptée par le vent. Elle resta basse, ses ovaires furent grillés par les embruns. Elle se courbait sous sa peau calcaire, et son cul était aussi plat que les bas-champs vers Cayeux. Après le drame, elle continua à travailler chez Derloche, dans l'actuelle rue du Général Leclerc, à assembler des serrures. Elle ne changea en rien ses habitudes. Le matin, elle longeait la falaise sur le chemin côtier dans le fracas des galets en contrebas. Le soir, elle suivait la grève et remontait par la valleuse de Cise. Elle ramassait un peu de crambe pour la mère Cauchois qui l'hébergea après la catastrophe. Jusqu’à sa mort, Yvonne Levasseur fut masquée par la bruine. Aucun homme jamais ne la désira.
II. L’œil dégagé en son centre, cet œil fixe autour duquel se fixera l’ultra violence des vents. Les vagues se soulèveront comme un cobra qu’on excite. A l’intérieur du serpent, une étuve gigantesque. Nul doute qu’elle se déchaînera dans une furie incomparable. Des pluies torrentielles s’abattront sur le Hâble-d’Ault. Du phare d’Onival, une armée de reptiles argentés se gonfleront sur les bas-champs de marécages. L’eau métallique creusera d’autres canaux et les prairies se désagrégeront en d’innombrables îlots. La terre aura beau gonfler son torse de craie verticale, présenter en légion des barricades de galets, ce qui s’abattra ici emportera tout.(...)